“Descent into Darkness: My European Nightmare” est un film de docufiction en found footage dirigé par Rafael Cherkaski, suivant le modèle d’un documentaire dans le processus de réalisation. Il s’agit là d’un caméraman de télévision nommé Sorgoi Prakov (joué par Cherkaski lui-même) de Sdorvie, un petit pays fictif à la frontière de la Russie, qui voyage à travers l’Europe avec des caméras portatives pour faire un “vidéo-trip touristique”, le tout pour une chaîne de télévision sdorvienne sur le supposée “rêve européen” (qui pourrait être comparable au «rêve américain»).
Le film est raconté entièrement du point de vue des caméras de Sorgoi, l’une montée sur sa tête pour avoir sa vision, et une autre sur un bras attaché à sa ceinture et braquée vers lui, pour que le spectateur puisse lire les expressions de son visage (bien que parfois, il la porte à la main, ou la pose au sol pour s’exprimer en face d’elle). Sorgoi a l’intention de commencer son voyage à Paris et de poursuivre un itinéraire en forme de cœur à travers plusieurs capitales européennes, parler aux touristes et la population locale en capturant divers sites et monuments culturels pour son documentaire. Après cette courte mise en place, le film commence avec un panneau titré “Mon rêve européen.”
Mais les choses ne se passent pas comme prévu. Prakov se voit refuser l’accès à des endroits comme le Centre Pompidou et le musée du Louvre en raison de son système de caméras (“comme si les touristes étaient des terroristes.”). Quand il évoque ce rêve aux passants dans les rues de Paris, ils l’ignorent, ne comprennent pas, ou pensent tout simplement qu’il est fou. Avec son sourire abruti, sa fine moustache et son couvre-chef ridicule, Prakov apparaît comme une version slave de Mr. Bean dans les premières scènes.
Ses tentatives pour engager la conversation avec les touristes n’obtiennent aucuns résultats probants, et par la suite, sa caméra manque même d’être volée. Il n’en démord pas, va à des fêtes, se saoule beaucoup, trébuche aux alentours, constamment victime d’intimidations, volé et battu, mais le tout fini par saper son idée de l’existence d’un vrai “rêve européen” à capturer.
Sorgoi Prakov, Mon rêve européen est une combustion lente qui récompensera les téléspectateurs les plus patients dans les hallucinantes trente dernières minutes du film.
Il n’a pas encore quitté Paris qu’il se retrouve sans argent contraint à racheter une caméra, et ses producteurs ne répondent pas à ses appels et courriels réclamants des fonds supplémentaires. Prakov tombe dans une sorte de « trouille existentielle » et devient lui-même sans-abri, vivant dans les rues, s’opposant à tous ceux qu’il rencontre dans des combats à la volée.
Une soirée bien arrosée, il poignarde un sans-abri et l’immole, filmant le tout dans une sorte de rituel morbide. Il est bientôt en fuite hors de Paris, s’introduisant dans les maisons en harcelant et les habitants. Son «documentaire» change d’orientation et veut maintenant révéler le «cauchemar européenne». Prakov se retrouve aux frontières du royaume de la folie pure, et ce qui suit est un cauchemar infernal pour tout ceux qu’il va rencontrer.
Found-Foutage et pureté de la Cinématographie
Dans l’ensemble, cette descente dans un “cauchemar” capturé par Prakov est très crédible et suit l’évolution du personnage avec un montage dans lequel l’action est grouillante au début, parsemé de musique, puis plus réaliste tout au long du film, avec des coupures nettes, et un jeu de va-et-vient entre les deux caméras en « point-of-view », offrant au spectateur une bonne couverture de ce qui se passe. Ces séquences montées sont justifiées à de multiples reprises où Prakov montre qu’il utilise son ordinateur portable pour éditer chaque soir les images filmées le jour. Le film est essentiellement monté sur une base linéaire par Prakov lui-même au fur et à mesure de son aventure macabre.
La seule indication d’un documentaire «fini» est le panneau du titre au début, même si l’image vidéo commence même à se décomposer et à pixéliser vers les 10 dernières minutes. Cette destruction de l’image fait un écho visuel subtil à la décomposition du personnage principal, une figure tombée en morceaux.
Acteurs
Le jeu des acteurs est très bon pour ce qui s’apparente essentiellement à un film d’images volées. Cherkaski est plein d’aplomb, Sorgoi Prakov est crédible, candide et déroutant au début, et nous croyons totalement sa descente dans la frustration, l’ivresse et enfin la folie. Les figurants, les touristes et les habitants qui parlent à Prakov (et à sa caméra) tous sont vraisemblables.
Synopsis et raisons de filmer.
L’intrigue est solide (et les raisons du film aussi), l’idée que quelqu’un va tourner un documentaire pour une raison donnée et fini par trouver une histoire complètement différente, est forte. Le film est une combustion lente, et la première chose horrible qui se passe réellement (l’assassiner du sans-abri) arrive après plus de 50 minutes, même si il y a une bonne quantité d’incidents et d’événements intéressants qui l’a précéde. L’interaction entre un cinéaste dont l’intention est de tout simplement d’«observer», mais dont l’implication est croissante dans l’histoire, ainsi que l’organisation de séquences tordues et violentes pour son “documentaire”, était déjà à l’œuvre en 1992 avec C’est Arrivé Près de Chez Vous (1992), et je perçois aussi les soubresauts d’Henry, Portrait d’un Serial Killer (1986) dans les influences de Cherkaski. L’idée fonctionne bien pour ce traitement en found footage.
On peut aussi sentir un arrière-goût de l’horreur extrême française dans le final du film, et si ce n’est pas votre tasse de thé, agissez en conséquence.
Tout en partant d’un postulat très amateur au début, celui-ci est intentionnel et construit vers un climax efficace. Sorgoi Prakov, Mon rêve européen est une combustion lente qui récompensera les téléspectateurs les plus patients dans les hallucinantes trente dernières minutes du film.